Parler d’hygiène numérique peut surprendre.
De même qu’une hygiène alimentaire ou corporelle a un effet direct et souvent immédiat sur notre santé, l’hygiène numérique a une réelle incidence sur notre vie, et pas uniquement numérique. Cela mérite une petite explication.
L’actualité n’a de cesse de mettre en lumière des comportements de grands groupes, pas uniquement issus du monde Internet d’ailleurs, qui collectent (ou “pillent” selon votre sensibilité sur le sujet) nos données pour les exploiter à des fins mercantiles et orienter la nature et quantité de contenu qui se présente sous nos yeux. Certains n’y voient pas le danger ou l’intrusion, mais certains (de plus en plus nombreux) commencent à réagir et à considérer cela comme une atteinte à notre liberté, vie privée, indépendance. Est-ce exagéré ?
Vendeur ou acheteur ?
Ces données constituent le fondement de business florissants, considérables même. Les Facebook, Google et autres acolytes “collecteurs” (GAFAM++) mobilisent des moyens gigantesques pour atteindre cet objectif de captation . La méthode est bien souvent la même : offrir des commodités et services gratuits, en apparence au moins, en contre-partie d’une dépendance permettant la collecte de vos comportements, habitudes, goûts, connaissances, problèmes, maladies, etc…
Il serait réducteur de dire que leur but est ensuite de permettre aux partenaires de ces « collecteurs » de nous vendre quelque chose. En réalité, le véritable but consiste à nous acheter, nous, notre temps, notre réflexion, nos inclinations et à les orienter voire idéalement les contrôler. Ces « collecteurs » nous achètent pour en revendre le « jus » à leurs partenaires.
Déjà, dans l’esprit, être « acheté » est plus troublant que d’accepter de « vendre » nos données, ne trouvez-vous pas ?
A l’insu de mon plein gré
La formule consacrée est alors : le produit, c’est toi .
En effet, tous ces services et applications ne sont que des prétextes à établir une relation (non, non, pas de confiance) de dépendance, bien souvent aveugle d’ailleurs.
L’article 22 du RGPD préconise une information spécifique, avant de demander un consentement. La cour de cassation Italienne, dans une décision très récente, va plus loin : Elle considère que l’acceptation à un traitement de vos données par un algorithme (un consentement à accèder à un site web donc) n’est valable que si il a transparence sur le fonctionnement dudit algorithme. Sinon, ils considèrent que la décision de l’utilisateur est biaisée. Ils luttent contre l’opacité du traitement des données personnelles… ce qui sous-entend que l’utilisateur s’y intéresse.
Qui d’entre nous a déjà demandé à accéder aux données que ces acteurs ont pu collecter à notre insu ou avec notre consentement par défaut ? Qui a lu l’ensemble des rubriques présentes dans une demande de consentement à partager nos données ? Il s’agit donc bien d’une dépendance aveugle la plupart du temps.
C’est alors que le consentement devient un vrai sujet. Le consentement mutuel de jeunes mariés est basé sur une connaissance de l’autre et des conséquences de ce que la vie de couple implique, en tout cas normalement. Cela est d’ailleurs, dans les grandes lignes, rappelé par le Maire lors de l’engagement formel.
En revanche, le consentement requis par des services ou sites web est bien souvent accepté par automatisme, avec une certaine passivité, afin d’accéder au contenu ou service suivant cette étape. Cette « formalité » légale n’en est finalement pas une dans l’esprit de l’utilisateur, traduit par une attitude de suiveur pour ne pas dire passive. Il convient donc de se poser la question des conséquences de ce consentement et de mesurer toute l’ampleur de sa signification, ou alors d’en accepter sciemment le principe et ses risques, si tant est que l’utilisateur soit conscient de ceux-ci.
Vraiment gratuit ?
Cette « gratuité » apparente, objet de notre convoitise et qui nous vaut d’accepter (et parfois à « l’insu de notre plein gré ») que nos données soient collectées et utilisées, est un levier très puissant. Tellement puissant qu’il est la base même à la création de sociétés devenues des colosses mondiaux en à peine 20 ans.
A ce sujet, il est très intéressant de considérer la source des revenus de ces sociétés, afin d’en identifier le métier, le vrai métier, et ses méthodes de développement… et pourquoi pas leur état d’esprit – pour ne pas évoquer leur éthique.
Google par exemple a constitué un écosystème complet qui regroupe moteur de recherche (point d’entrée sur le monde numérique), chrome (un navigateur puissant disponible partout), des services pratiques et performants (Gmail, Gsuite, Youtube..), des solutions personnelles et smart home (fitbit, Nest) et des systèmes d’exploitation pour smarphones, PC et objets connectés (android, ChromeOS et Google Fuchsia OS). Mis à part le hardware, tout cela est gratuit.
Une petite incursion dans le monde de la smart-city (SideWalk Labs), sans évoquer les projets de fourniture d’accès à Internet, viennent encore renforcer cette panoplie déjà complète.
Quelle est la source principale des revenus de la société ? Je vous laisse deviner…
Comment ne pas alors considérer tous ces produits et services comme simplement des mouchards sophistiqués ?
Autre exemple parlant : Facebook et ses services massivement utilisés au quotidien car tellement pratiques, puissants et gratuits tels que Facebook, Whatsapp et instagram. Le nombre d’abonnés donne le vertige et son ancrage dans la vie sociale est tel qu’il confère à Facebook un « pouvoir » d’influenceur mondial. Oui, les influenceurs ne sont pas ceux qu’on croit. Cela s’apparente d’ailleurs parfois au fonctionnement d’un état dans les états…. et ce sont des états qui le disent et s’en inquiètent d’ailleurs.
Même question : quelle est la source principale des revenus de la société ?
Comment ne pas alors assimiler ces services à des espions mercenaires à la solde du plus offrant ?
J’assume le vocabulaire et l’esprit qu’il dégage, quoiqu’un tantinet provocateur j’en conviens…
Nous n’avons ici cité que deux exemples. Je vous invite à mener la même réflexion sur d’autres sociétés qui ont envahi nos espaces de vie, et en contrôlent un large part.
Appel à la loi
Cette collecte vire souvent au pillage méthodique avec une claire volonté de contourner les lois de protection de la vie privée, car elles impactent directement les revenus de ces colosses aux pieds numériques. Ces lois, toujours plus contraignantes et qui renforcent les barrages à la collecte non-consentie, sont systématiquement à la traîne des nouvelles méthodes imaginées par les “collecteurs”, toujours plus complexes et souvent aussi puissantes qu’intrusives. L’objectif de la collecte ne varie pas; les méthodes, elles s’étendent.
Google n’a pas besoin de collecter nos données au moyen de cookies et autres dispositifs greffés sur les services ou contenus. Il détiennent les infrastructures, les navigateurs, les systèmes d’exploitation, nos documents, nos emails, etc…
Facebook dispose de l’ensemble de nos vies sociales (enfin, les vôtres, pas la mienne) et interactions. Ils appliquent le contrôle et la surveillance qu’ils souhaitent.
Légiférer et contrôler un minimum cette collecte devient alors un véritable défi et une course à l’innovation.
Que faut-il en penser ?
Chacun a le choix de son hygiène de vie, de son régime alimentaire, mais les conséquences de ceux-ci sont prévisibles et connus.
Il en va de même avec l’hygiène numérique. Il nous appartient, à chacun de nous, de décider de ce que nous faisons de nos données, de nos traces, de nos contacts, de nos documents, de nos pensées et convictions; et ne pas décider revient à laisser d’autres décider pour nous. Je vous laisse deviner qui.
En soi, cette idée qui consiste à laisser d’autres décider de l’avenir et usage de nos données personnelles est un principe qui, pour beaucoup, touche à la liberté la plus élémentaire.
A toi de décider
Les plus attentifs à ce sujet trouveront inacceptable de ne pas être « maîtres » de leurs données et chercherons à les protéger; à protéger leur patrimoine numérique. Les moins intéressés pourraient ne pas s’en préoccuper et prêter alors le flanc à des effets indésirables. Le risque le plus faible serait alors une pollution de publicités intrusives, de connexions non-désirées, de partage massif de votre vie, d’absence de confidentialité sur des sujets personnels sensibles, etc. Le plus grave pourrait se matérialiser par une usurpation d’identité, une demande de rançon (de plus en plus fréquentes) ou la divulgation d’informations personnelles sensibles traumatisantes, à votre sujet ou au sujet de vos proches et enfants au travers de votre compte, une influence permanente sur notre façon de penser, etc.
C’est à chacun d’entre nous de choisir sa posture face à ces nouveaux phénomènes, qui induisent donc de nouvelles questions relatives à nos vies privées et à notre liberté d’agir, de décider, de penser en toute confidentialité… Cela pose la question de nos priorités, de nos valeurs ou plus exactement du classement par importance que nous leur accordons.
Ainsi, la question clé est « Pourquoi ? », car avant le geste, il y a l’esprit.
Des solutions existent, sans sombrer dans l’hystérie idéologique. Elles peuvent être simples, pragmatiques et s’ajuster à notre sensibilité, à nos valeurs et à l’intensité de notre désir de liberté et d’indépendance. Finalement, ces grands acteurs GAFAM ++ contribuent aussi à l’avancée technologique et, par réaction – ou même rébellion, à l’apparition de solutions alternatives respectueuses des utilisateurs et de son environnement numérique et physique.
Les prochains épisodes de cette rubrique exposeront une expérience personnelle d’hygiène numérique, le cheminement étendu à l’entreprise, les valeurs qui motivent ces choix, comment le cloud souverain est possible, l’incidence sur la smart-home, l’impact sur l’environnement et bien d’autres sujets liés à notre hygiène numérique.