Alors que le sujet de la souveraineté numérique est largement diffusé et commenté ça et là, il reste bien souvent incompris et passablement altéré par des décisions et réactions diverses parfois approximatives, influencées voire quelque fois, disons-le, totalement dénuées de bon sens.

Nous ne nous attarderons pas ici sur le « cloud de confiance » ou projet Gaïa-X dont nous « dénonçons » ici et sur les réseaux – aux cotés de bien d’autres – leur éloignement et même opposition à la définition même de la solution souveraine. En apposant le sceau d’une souveraineté numérique à des inititiaves qui n’en sont pas, un brouillard entoure ce concept parfois mal maitrisé par nos élites et appareil législatif – à l’insu de leur plein gré ou sous influence lobyyiste.

Ces débats parfois illisibles ressemblent beaucoup à ceux qui, lors de l’ajout des ceintures de sécurité dans les voitures ou le port du casque obligatoire en moto, ont alors alimenté la presse et les discussions de comptoir. Le danger et les risques étaient bien souvent sacrifiés sur l’autel de la praticité voire de la liberté ou du coût. Aujourd’hui pourtant, il nous paraitrait insensé de contester les raisons rationnelles de ces décisions.

Cachez cette souveraineté que je ne saurais voir

Il en va ainsi de quelques commentaires qui troublent un peu le concept de souveraineté. En voici un exemple.

L’interview dans Forbes de Jean-Marc Lazard, co-fondateur d’Opendatasoft, qui s’intitule : « Au lieu de débattre sur la souverainté et la propriété des données, il vaudrait mieux en garantir l’ouverture permanente pour une information pour tous. »

Nous sommes en désaccord avec cette affirmation malheureuse, sans doute mal exprimée ou mal comprise. D’autant que cette position est tenue par une société qui soutient et accompagne le mouvement opendata, qui a une vocation liée à une certaine souverainté. Sans nul doute, ce point sera précisé ou modifié.
En effet, ce serait comme prôner que seul compte le déploiement d’un système de distribution d’eau aux populations – ce qui en soit est une bonne chose – mais sans s’assurer qu’elle est potable et sans danger.

La souverainté numérique permet d’envisager une meilleure maitrise et qualité des moyens stratégiques de production, diffusion et valorisation, que ce soit de données, d’informations ou traitements. En somme, acheminer l’eau et en garantir sa qualité dans l’intérêt des populations. La seule ouverture et diffusion massive des données n’est pas à opposer à leur souverainté ou propriété; deux notions qui d’ailleurs simplifient de trop le sujet des données et de leur éthique.

La majeure partie de ces commentaires erronés ou incomplets sont bien souvent liés à une dépendance technologique aux GAFAM, sur laquelle sont bâties de trop nombreuses sociétés et startups pourvoyeurs de nos services.

 

 

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Les GAFAM dans le viseur direct, et indirect

Cette « dépendance » technologique est réelle pour une (trop) grande partie de nos écosystèmes numériques. Certains commencent tout juste à en prendre conscience.

Par exemple, en Autriche, une décision récente de l’équivalent de la CNIL en France, a rendu un jugement, exposé dans cet article, contre Google Analytics qu’ils estiment illégal et contraire à la RGPD.

Le Parlement européen a été sanctionné pour avoir permis le transfert de données hors de l’UE, évoqué ici.

Il y a bien d’autres exemples, ne ciblant pas uniquement Google d’ailleurs, et qui couvrent tous les thèmes incluant même nos précieuses données de santé (voir le scandale du Health Data Hub…) ou les évolutions nécessaires de Doctolib dans le chiffrement des données et rachat d’une société spécialisée, avec quelques détails intéressants.

Ces démarches juridiques, techniques, sociétales sont nécessaires et utiles, mais encore trop peu nombreuses. Le sujet est stratégique.

Par ailleurs, le succès phénoménal des solutions cloud portées par les GAFAM trahissent la dépendance majeure d’une part considérable de nos écosystèmes numériques, qui du coup vient perturber le discours de probité de ces mêmes acteurs économiques (voire publics), car totalement dépendants de ces infrastructures puissantes et si pratiques, sans parler des lobbies associés.

De l’aveu même de certains d’entre eux, ils devraient re-développer une grande partie de leurs services s’ils devaient entamer un sevrage numérique des GAFAM. En réalité, c’est au minimum imprécis voire partiellement faux car des solutions souveraines existents et pour certaines compatibles ou reposant sur des architectures proches des solutions proposées par les GAFAM.

Des acteurs majeurs, compétents et clairvoyants sont actifs sur le sujet et prennent une position franche, lisible et pertinente, afin de faciliter cette transition et évolution. De nombreux projets opensource sont également disponibles dans ces environnements, pour certains d’ailleurs utilisés par les GAFAM eux-mêmes.

Les veilleurs de la souverainté numérique

Il y a un certain nombre d’acteurs qui s’affichent et assument leur opposition aux solutions non-souveraines, et qui en font même leur marque de fabrique.

Par exemple, sur le complexe marché des suites bureautiques en ligne, certaines sociétés, telles que Atolia, Jalios, Jamespot, Netframe, Talkspirit, Twake, Whaller et Wimi, se sont alliées pour communiquer sur leurs alternatives, pour la plupart basées sur des solutions opensource. Cette approche est commentée dans cet article.

Nous ne pouvons que relever la position claire et courageuse de Scaleway et de son CEO qui a claqué la porte de l’initiative Gaia-X en novembre dernier, commentée ici. L’explication donnée à cette décision est sans appel, clairvoyante et un exemple à suivre.
Cette position est clairement portée et assumée par le groupe Iliad, maison mère de Scaleway. Je vous invite à lire la tribune de son DG publiée dans le JDD, qui appelle à « une vraie souveraineté numérique. »

Il y en a bien d’autres. Mais ne vous y trompez pas. Tous ceux qui s’annoncent souverains et défenseurs de cette approche ne le sont pas. Le « cloud de confiance » et les projets tels que Gaia-X viennent flouter le sujet et éduquent mal les masses, ou trop bien suivant l’effet recherché.

Maitriser nos données et les infrastructures qui les traitent, transportent, stockent et diffusent relève d’une mission stratégique, éthique presque humanitaire. Il faut en avoir conscience, sereinement, pratiquement, sans sombrer dans des incantations anti-système qui n’apportent rien et rendent les enjeux encore moins lisibles.

Ayons l’audace de progéter nos vies privées, nos entreprises, leurs clients, nos territoires et ses citoyens. Non, la souveraineté numérique n’est pas une chimère. Elle est bien réelle et elle est d’ores et déjà possible grâce à ses veilleurs.